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            Il en est parfois de certaines régates au nom curieux comme des équations mathématiques : passé un premier abord abscons, elles se révèlent pleines d’agréments et de surprises, pour un peu qu’on apprenne à les découvrir. Notre première rencontre avec la 2A2K avait été assez sommaire, via la lecture des régates annuelles sur un site de voile. Nous avions bien repéré cet événement se déroulant sur trois jours consécutifs et en grade 5C, peu cher payé pour qui courrait les points des classements fédéraux. Son nom peu orthodoxe nous avait déroutés, entre protocole de chimie et formalisation symbolique. Nous avons eu les plus grandes peines, oscillant entre tous les possibles, de la A2AK à la A2K2, à ne pas éborgner son nom; jusqu’à comprendre grâce à la pédagogie de Samuel Rieux, l’un des organisateurs, qu’il s’agissait de l’abréviation d’une phrase ès breton : « An arvor Kelt Kib » (coupe celtique de Larmor).

Après le tour du Finistère (début d’un périple en Bretagne qui devait se clore par le championnat d’Europe fin aout à Brest)  et suivant les recommandations d’un « […] loup de mer », en la personne de Franck Campé, nous avons sauté sur l’occasion de possibles navigations diurnes sécurisées en mer du côté de l’île de Groix, et d’envisageables soirées conviviales. Et il est vrai que le planchiste, notamment de raceboard et d’open (catégorie qui réapparaissait en tant que telle pour la première fois aux championnats d’Europe depuis quelques années), moins nombreux que d’autres séries de windsurf, tient beaucoup à cette vie en communauté, avec fourgon, voiture ou tente, pour continuer à refaire les manches de la journée, échanger sur les réglages, les stratégies, lister le nombre ahurissant de planches à voiles, obsolètes ou non qu’il conserve dans son garage, narrer ses navigations de jeunesse ou de découverte. En bref, il tient à partager et transmettre des ressentis, l’histoire des catégories anciennes. Il cherche à ce que demain ne meure jamais, en faisant souffler le vent sur les jeunes pousses qui ont déjà investi le plaisir d’une navigation en open ou raceboard, et ce, à l’aube, au crépuscule ou en parallèle d’une carrière en filière jeune.
Chagrinés de devoir attendre « les Europe » pour retrouver cette ambiance, nous arrivions, quelques jours avant l’événement, dans le secteur de Larmor, à quelques encablures, guidés plus sûrement que par un GPS par Franck et Josette Campé, et initiés par eux à tous les bons coins à camping-car. Arrivés au port de Guidel, le paysage était déjà grandiose, la traversée longiligne du bord de plage avec le fameux Fort Bloqué et son parking, repaire des windsurfeurs, kite-surfeurs. Deux jours avant cette 4ème édition de la 2A2K, notre bivouac était déjà au pied du Fort de Kernével, où se trouvait basée la société nautique de Larmor, hébergeant l’épreuve. La magnifique vue sur Saint Louis, entre autres, allait s’offrir à nous, ainsi qu’un balai musical d’allers-venues : bateaux de plaisance, navettes touristiques vers l’île de Groix, bateaux de régates, bateaux de pêche sous surveillance rapprochée et assidue de mouettes, de goélands du coin, et d’autres invités au festin.

            Le samedi 13 août s’ouvraient enfin les festivités, sous un soleil mordant jouant avec le cache-cache du vent. Au rythme des marées et des arrivées de coureurs, un briefing vers le début d’après-midi se conjuguait avec une rade de Lorient plus navigable, une direction de thermique un peu mieux établie. Cela permettait également aux derniers arrivés d’être prêts, au rang desquels on comptait Emile Cosson, qui, dans toute la fougue et l’énergie de sa jeunesse, et malgré des nuits raccourcies, avait été le seul à s’inscrire pour concourir et en paddles et en raceboard.

Le premier parcours du jour prévoyait un départ surprise dont la procédure visait un départ surprise  dans un laps de temps précisé au briefing. De type « beach start » depuis la plage de la SNL, ce départ avait l’intérêt de mobiliser un bon travail de renforcement musculaire en statique (l’exercice ayant duré plus d’un quart d’heure avant le début de la procédure), valant quelques sifflets des coureurs. Le vent peinant à s’établir, et engageant à partir trop près du vent, a pour autant fini par prendre pitié et permis la libération de la horde de papillons siffleurs. C’est sur un très long bord de portant, et claquettant les voiles, que nous nous élancions vers le petit port de Larmor, vers l’intérieur d’une rade gorgée de soleil. La zone de navigation n’était guère large, confinée entre le bord de plage et le chenal des bateaux qui constituait un infranchissable. La sécurité a été l’un des maîtres-mots du briefing : et pour le bien des coureurs et parce que la bonne tenue est la condition sous laquelle de futures autorisations de course dans de tels paysages privilégiés pourront encore être obtenues. Malgré tout, et malgré le respect de la « bande blanche », même pas pour dépasser un tracteur s’il y en avait eu, l’exercice de stratégie a justement pu s’exercer au marquage, jusqu’au virement d’une marque mouillée juste au-devant de la cité de la voile Eric Tabarly, que nous découvrions pour la première fois et ce, par le côté mer. L’abord du bâtiment laissait une impression de grandiose, et les restes de cette ancienne base sous-marine, émergeant ça et là, les volumes, les restes d’épaves rouillées, jouaient les arrière-fonds rendant les voiles de 9,5 m minuscules. Mais déjà découvert ce tableau, il fallait le quitter, et remonter pour glisser bien plus avant la plage de la SNL, dépasser Port Louis, et atteindre, en contre-jour, la marque au vent devant la plage de Port Maria. Sans surprise, la horde d’open, derrière leur chef de file Gilles Tanguy, qui avaient suivi sagement leur ordre de départ jusqu’à la première marque sous le vent, dotés de volumineux chevaux dont ils avaient une maîtrise d’exception, était difficile à accrocher. La parfaite connaissance du plan d’eau, qu’avaient certains, leur permettait de tirer parti au mieux des fonds et des courants, pendant que d’aucuns transitaient par les cordages de limitation de baignade, ou se retrouvaient sur quelques hauts fonds des petites îles aux oiseaux. Seul Maxime Quentel, jeune mais déjà bon technicien et initié des conditions locales, parvenait en raceboard Jaguar, à s’immiscer dans le lot de tête des open, avec une belle 4ème place, juste devant Claire Lièvre, qui revenait après un long arrêt et avec peu d’entraînement, sur une compétition. Arthur Rieux, le benjamin, bouclait le parcours en dernière position, mais avec une surface de 6,8 mètres carrés, soit presque 3 mètres carrés de moins que les autres garçons, et une planche qu’il ne connaissait pas, ce qui constituait deux forts handicaps dans ces conditions faibles de vent. Il suivait juste Franck Campé, doyen de cette 2A2K, bien que quelques décennies de planche à voile les séparent, même si une même passion de la planche à voile, indéfectible, sans âge, les habite.

Pour finir la journée, deux parcours plus standard, avec départ sur l’eau, entre bateau comité « Maria III » à bâbord et bouée jaune échouée sur la plage à tribord, nous permettraient de naviguer sur un parcours plus restreint. Les oscillations du vent, le courant, auront à peine perturbé le classement du jour, rythmé comme un pendule : Gilles Tanguy, Emmanuel Gagnaire, Gilles Salle, Claire Lièvre pour les dames. C’est encore le jeune Maxime Quentel qui se permettra de passer 3ème de la dernière manche de la journée, qui mettra un peu de perturbation dans la rythmique de l’horloge des garçons, et qui vient taquiner sur quelques manches, la domination de la première féminine, Claire Lièvre.

Le retour à terre, après tant de pomping, après avoir subi les affres d’un soleil déshydratant jusqu’à la moelle, devenait salvateur : quelques-uns repartaient accoster plus au vent, pour rejoindre leur villégiature, le gros de la troupe regagnait la SNL, et notre petit trio de bivouac (nous avions gagné Emile Cosson), regagnait le côté parking du port, sur l’autre amure du fort de Kernével. Du fond du parking commençaient de monter, débordant les fortes odeurs d’algues et d’iode, des fumets de thon grillé. En ce samedi, l’association des pêcheurs et plaisanciers bouclait les préparatifs pour fêter ses 40 ans d’existence. De grands chapiteaux blancs s’étaient dressés sur le bitume, et pour 12 euros, le menu affichait : »kir, thon grillé, accompagné de pommes de terre et de piperade, fromage et dessert. Cadeau à chaque participant. Concert chorale entre vents et marées et soirée animée par le groupe duo Madison. Gratuit ».

Pour autant, c’est bien l’autre côté du fort qui nous intéressait. La petite troupe de Terenga Envents avait elle aussi œuvré dès son arrivée : un chapiteau rouge avec bar, tireuses à bière, frigo, espace de cuisson avait été installé rapidement. Une sono, des espaces table repas et table apéritive avec vue imprenable. De quoi nourrir et abreuver tout un port. Il est dommage que le lieu, un peu à la dérobée des regards, n’ait été détaillé et utilisé que par peu d’extérieurs.

L’apéritif fut offert vers 19h, à la petite bande de soiffards et de papoteurs, rosé, cidre sponsorisé très bon, saucisses grillées, autres agréments et même sans alcool pour certains cavaliers d’open barbus ayant opté pour la sagesse. Arthur était déjà au service, après la journée de planche à voile, et commençait de maîtriser parfaitement la technique de service des bières et du cidre, même s’il n’avait pas encore le droit à passer à la dégustation.

Le chien « Coton » échappait dès qu’il le pouvait au service de surveillance, allait traîner sur quelques kilomètres, avant de revenir en toute discrétion afin de faire semblant de dormir dans un coin. Fort de ce sympathique début de soirée, nous décidâmes de rester partager le repas en comité restreint mais plein d’entrain. Voix off  sous silence sur les diverses choses échangées ou dites -il fallait être là.

            Le lendemain, dimanche 14 août, ce sont les paddle qui ont ouvert le bal. Un parcours long à faire frémir un non-paddler allait les engager en direction de l’île de Groix jusqu’à Port Melin. Marie-Elphège Julienne, la seule et impressionnante féminine de l’épreuve a tenu la dragée haute pendant un long moment aux garçons, avant de se faire reprendre. Elle réussira la belle performance de terminer à 2 minutes du temps de 1H35 du premier, Gilles Cosperec. Nicolas Adam et Emile Cosson, eux, se retrouveront à 3 et 5 minutes derrière. Notons qu’avec un peu d’entrainement, une planche plus compétitive, et en prenant le départ de toutes les manches, Emile Cosson devrait avoir une belle marge de progression…

L’épreuve terminée, ce dernier a d’ailleurs pu changer de monture, prendre le départ des courses devant la SNL, pour partir en direction de Kerguélen. Le vent faible et le départ au portant ont nécessité le réveil de la brute qui est en chaque planchiste, plus que la navigation technique, même si le surf au portant (ce pour quoi les open ne sont pas favorisées) relève d’un réel travail technique. Nous avons particulièrement apprécié cette journée, et venir souffler dans le dos de Gilles Tanguy pour le faire pomper un peu. Les surprises de changements de cap du bateau ouvreur ont également mis un peu de sel dans cette journée. La faiblesse du vent, alors qu’une manche nous rapprochait enfin de l’île de Groix, amènera le comité à annuler la manche au lieu de faire le choix d’un parcours réduit. Un départ pour le retour à la maison avec arrivée à Kerguélen puis à la SNL terminera la journée. Le vent tombant de façon progressive à partir du milieu du retour, c’est un très long périple, devenant de plus en plus long qui a attendu les concurrents pour rentrer, et ce, contre le courant. À noter pour cette journée, l’arrivée de Morgane Dubois, sur la 2A2K, avec son ancien matériel mistral, qui a ardemment bataillé pour rivaliser avec sa 7,4 mètres carrés contre des garçons en 9,5 et les deux autres féminines en 8,5, et qui fera une belle manche de 12ème. À noter également la joie non feinte d’un Samuel Rieux qui, à l’arrivée de Morgane, était tout fier de dire : « Je suis content, j’ai enfin mon podium féminin ».

À la fin de la journée, l’île de Groix restait encore un mystère et un beau rêve, en direction duquel l’organisation s’était fait un devoir de nous emmener. On nous avait promis, quoiqu’il se passe d’y aller le lendemain.

La soirée avait été festive, encore. Les titres cumulés en RSX aux J.O se devaient d’être arrosés. Nous avions eu le suivi journalier des manches grâce à Franck Campé, qui nous en faisait le détail dès que possible. Un feu d’artifice avait été tiré dans la nuit, qui avait illuminé la rade et nous avait fait ressortir des plumes. Des accords de musique entrecoupés arrivaient, portés par les oscillations du vent, et parfois masqués par le grabuge vocal des mouettes à goélands, qui, à toutes heures, venaient réveiller le déplacement ensommeillé des bateaux de pêche nocturne.

            Dernier jour de course, lundi 15 août. Le réveil fut plus matinal, le comité ayant décidé de profiter du vent du matin avant la bascule de pétole.

Gilles Tanguy poursuivrait sa promenade de santé et son bronzage en ralliant le premier Port Melin, bien que nous l’ayons laissé, par respect des aînés et des palmarès, passer la ligne d’arrivée quelques secondes avant nous. Jérôme Hanquer, ayant changé de mât et de réglage sur sa Lefèbvre, avait tourné comme un avion sur ce bord exclusivement au portant, et arrivait juste derrière. Théo Le Lay, ayant eu une rupture du bout de fixation de wish, et pourtant bien placé dès le départ, en était pour son compte et cherchait un stratagème pour réparer. Le vent faisant toujours des siennes, et à la baisse, les écarts s’étaient rapidement creusés. Arthur veillera sur l’arrivée de la flotte et fermera le troupeau, en bon berger, après 3/4 d’heure d’efforts supplémentaires, mais toujours avec le sourire.

Avant le retour, et après tant de miles navigués dans peu de noeuds, une bonne pause fut octroyée aux concurrents. Des chips et autres collations étaient proposées à ceux qui n’en avaient pas, et également quelques verres de rosé à ceux qui n’en avait pas. À cette occasion, et associées en radeau dérivant, nous pûmes échanger un peu avec Claire Lièvre, née sur le coin, en apprendre un peu de son performant passé (les performances étant toujours bien présentes sur cette 2A2K) et en découvrir sur l’histoire de son proto open Oberli de chez Croconut’s. Nous lui sommes redevables de nous avoir parlé du modèle Jaguar, que nous avions pris au départ pour un petit nom d’oiseau que Maxime Quentel avait donné à sa planche, parce qu’elle allait vite, comme on aurait pu avoir Porsche ou Aston Martin. Nous repartirions ainsi un peu moins nuches…

Au retour, un léger vent avait décidé de nous faciliter un peu la tâche. Le sort d’attaque de wishbone à puissance 6 avait été jeté cette fois-ci sur nous, la poignée ayant décidé de s’ouvrir, de breloquer, et refusant de vouloir se refermer en navigation. Nous avons donc eu le loisir d’assister à la manche, et de voir Gilles Tanguy, ayant épuisé le combustible de midi, laisser Emmanuel Gagnaire et Claire Lièvre s’expliquer pour la dernière manche. Au jeu de la roulette stratégique, ceux qui étaient partis sous le vent du parcours, avaient manqué les belles risées imprévisibles arrivées sur le haut du parcours, en direction de la grosse bouée de chenal où le parcours serait finalement réduit, avant le retour à terre.

            La remise des prix, la soirée de clôture et la distribution de lots ont été particulièrement chaleureuses. L’organisation a rappelé combien, après que la fédération s’est retirée de la prise en charge d’épreuves, les associations privées ont la tâche parfois ingrate, lorsque les inscrits ne sont pas en nombre au rendez-vous, d’accepter une balance négative des budgets, qui frôle un peu la profession de foi. Et c’était particulièrement le cas cette année. C’est une faible poignée de planchistes et de paddlers qui était venue participer ; les changements de dates du calendrier fédéral et la concomitance d’autres épreuves sur le même temps ou à venir, ayant poussé des intéressés à renoncer. Pour autant, l’accueil qui nous a été fait, par l’équipe, par les dames et le labrador du comité, n’en a pas été amoindri. Une belle édition 2016, s’il faut conclure. Et toujours penser à se souvenir que sa réédition ne va jamais de soi, ce qui permet de mettre de côté ce qui n’est jamais parfait dans une mise en place de régate afin de se dire que l’essentiel, à savoir partager de belles navigations avec des camarades planchistes et des moments conviviaux, a été respecté.

 L’organisation a ensuite offert un open bar, histoire de vider les fûts sous pression avant leur démontage le lendemain. La soirée avec Gilles Salle et ses enfants pleins de vie (on se demande comment il se fait qu’ils ne soient pas encore sur une planche à voile, d’ailleurs), nos barbus Jérôme et François et tous les autres, a bien montré combien les points de passage entre les diverses générations de planchistes sont essentiels et dynamiques.

Bidouillette