Interview de  Viviane Ventrin alias « bidouillette » (AS Gerardmer, Grand Est). Tour d’horizon d’une raceboardeuse investie de longue date : le contexte, son implication, la régate, son club, sa région, les féminines. Tout est passé « à la moulinette » avec clairvoyance.

Viviane Ventrin en action

Viviane, superbe saison pour toi avec une grosse activité sur les régates françaises et … européennes cette année. Championnats de France, d’Europe et du monde, tu as été partout! On comptabilise sur ta fiche coureur FFV, 18 régates courues cette année: Brest, Espagne, Hongrie, Marseille, Dijon, Angers !!  Les résultats suivent également puisque tu es vice-championne d’Europe cette année et 1ère du classement national raceboard … devant tous, hommes compris. Il semblerait que cela soit arrivé qu’une seule fois dans l’histoire de la Raceboard … avec Faustine Merret!  Compétition, pratique féminine mais aussi pratique en club sont trois sujets importants pour notre support que l’on va partager avec toi.

Viviane, tu n’es plus à présenter au monde Raceboard par ta forte présence en régate mais aussi sur nos réseaux sociaux dont la page France Raceboard Association, mais peux-tu malgré cela, te présenter à tous?

J’ai le parcours assez classique « années 1990 » d’une jeune de « littoral intérieur ». J’ai fait mes débuts en dériveur, en optimiste (j’ai essayé d’en garder l’état d’esprit, du coup), sur le « plouf », un vieux bateau rouge, lourd, que je ne parvenais pas à faire avancer. Tout cela,  en essayant de comprendre un peu comment marchait le vent. Nous n’avions pas d’entraîneur professionnel, et l’entraînement se faisait un peu en même temps que les compétitions. Parfois, nous avions la chance d’avoir quelques jours de stage de ligue, sur une flaque du coin, avec quelqu’un de compétent. Ensuite, j’ai glissé en raceboard dès que j’ai pu, vexée de voir papa qui me déposait sur place avec sa turbo-planche. Nous courrions avec quelques autres filles, peu, déjà, mais il y en avait quelques-unes. Parfois, nous courrions avec les garçons. L’éloignement des plans d’eau engageait encore à peu d’entraînements, c’étaient les compétitions qui nous entraînaient… Les années fastes, nous avons eu la chance d’avoir un vrai CTR qui parfois nous éclairait sur des points techniques et tactiques, ou un stage à l’école nationale de voile de Quiberon, ou un stage club. Mais souvent, nous étions seuls. On connaissait de nom les supports pour jeunes (Aloha, et Mistral). Nous n’en avions pas en club intérieur. On nous livrait des planches de prêt qui arrivaient en camion sur les championnats. Quand on avait de la chance, elles arrivaient deux jours avant, ce qui nous laissait le temps de nous acclimater au support. À titre d’anecdote, une année, à Martigues, il avait fallu décaler le départ du championnat, le camion ayant  eu du retard.

Sport études étant inaccessible (on voulait que je fasse des études, c’est fait), j’ai dû me résoudre à bagarrer le week-end, avec une progression aléatoire et peu probante.

En 2000, j’avais fait l’acquisition d’un flotteur et gréement mistral one design, pour courir à la fois sur support olympique et en raceboard, avec la baisse du nombre de raceboardeuses. J’ai arrêté en 2005, au moment des changements de support. Cela, non par choix, mais suite au remplacement annoncé par la « formula ». On prévoyait d’arrêter mon support. J’ai eu l’impression qu’on me volait une partie de ma vie ; et pour autant, durant plus de dix ans, j’ai continué à rêver de compétition plusieurs fois par semaine.

Par hasard, j’ai appris qu’il y avait encore de la raceboard, croisant au hasard d’un parking d’autoroute, un couple de vosgiens armés d’une vieille mistral gouttant son eau depuis des barres de toit. La suite, on la connaît. On retrouve une vie pleine de déplacements, de compétitions, de copains, de joies, de dépit, et l’accueil toujours présent de son vieux club d’adoption.

Donc saison pleine pour toi cette année avec de belles performances en France et à l’international. Quel recul as-tu sur l’année qui s’achève?

L’année a été longue, 19 régates au compteur, puisque que comme entraînement, nous avions fait la super coupe de Tchéquie avec l’ami Bernard Buren, avant les « Europe » en Hongrie. Je retiens donc en premier point, qu’un « stage » ou une compétition pré-championnat est incontournable pour être à l’heure sur les manches, pour un planchiste de littoral intérieur.

Le changement de support (Phantom 3,80 ; dite « Fantomette ») versus Mistral one design a été une épreuve technique et psychologique. Et au bout, je dois reconnaître que ma vieille peluche « Mimi », qui prenait l’eau par le puits de dérive, et dont je scotchais les straps au scotch gris, était rendue peu performante par rapport à des planches plus volumineuses et plus modernes, surtout après quelques manches et dans du petit temps. C’est le second acquis de l’année.

Quand je regarde les régates de cette année, je remercie les cieux puisque nous n’avons pas eu du gros gros vent. Ni le matériel, ni la planchiste n’étaient opérationnels pour ces conditions.  Maintenant que mon club m’a sauvée en me dotant d’une 7,8 bic, et avec plus de navigations au compteur dans du médium, j’envisagerai peut-être l’année à venir plus sereinement. Mais il est certain que la Med Cup, dès février, relativement ventée (je parle en nœuds vosgiens;-) ), et un stage club d’entraînement venté à Port Grimaud, ont été le ce sans quoi, je serais encore terrorisée devant ma voile de 8,5 dans plus de 20 nœuds  à Martigues.

Côté performances, je ne suis pas particulièrement satisfaite de cette année, même si je le serai peut-être un jour, plus tard. J’ai de trop hautes exigences en regard du niveau que je peux objectivement atteindre pour l’instant et à terme ; et j’ai l’impatience des « plus vieux ».  Je vais rassurer tous ceux qui croient que je ne m’en rends pas compte… Mais on ne change pas son moteur de dynamique psychologique à cet âge !

Bilan perfectionnement de cette année : j’ai tenté de reprendre les fondamentaux comme le placement correct sur la ligne de départ, etc. Pour l’instant, c’est peu probant, mais je ne désespère pas. Je m’en rapproche; pour preuve, j’ai fait 2 OCS (départs prématurés) sur l’année.

Et dans la phase « départ », il va falloir passer par les phases renforcement musculaire et foncier-cardio que j’ai un peu délaissées cette année.

Dernier point sur le bilan de l’année, avoir investi beaucoup plus poussée par les échanges techniques et stratégiques avec les autres raceboarders. Et sur ce support, malgré l’esprit de compétition qui y règne aussi au plus haut niveau (sans le haut niveau), les compétiteurs acceptent d’échanger entre eux, et de mutualiser  les conseils pour progresser. Venant des petits plan d’eau intérieur, hors des filières efficaces et académiques, nous sommes toujours très tributaires des recettes de ceux qui savent, et qui savent faire. Un conseil nous permet de gagner un temps infini, et remplace la longue découverte personnelle. En raceboard, il y vogue plein de belles âmes, comme celles qui, sur la ligne de départ, vont te faire de la pédagogie, et te dire qu’il faut monter parce que tu es dix mètres en dessous… Ce sont des gens qui ont des vraies valeurs, et les transmettent de façon intergénérationnelle, et qu’il est bon de côtoyer. Je ne doute pas qu’il y en ait aussi sur les autres supports, mais je ne parle que de ce que je connais.

Au niveau régional, tu es licenciée à l’AS Gerardmer où tu régates souvent mais aussi sur Vesoul. L’AS Gerardmer est très présent dans le grand Est  en Raceboard, notamment grâce au dynamisme de Michel Mérieux qui booste depuis très longtemps ses troupes, dont Julien Bontemps et Sébastien Meignan, historiquement. Comment expliques-tu ce dynamisme ? Quels sont les ingrédients de cette réussite et surtout de cette longévité?

Gérardmer est un des clubs qui mobilise le plus de jeunes en raceboard en France. Quelles en seraient les raisons? Comment est structurée la pratique jeune dans votre club?

Avec le nombre limité de clubs de voile qui peuvent saisir des licences compétitions, à présent, il n’y avait plus la possibilité de courir pour ma région d’habitation, le pays de Montbéliard. J’ai donc rejoint mon dernier club adoptif, vosgien, un fief de raceboarders. Il y a le club de Vesoul, aussi, qui compte aussi quelques bons « raceboarders », mais qui se tourne beaucoup plus vers une pratique funboard et slalom.

AS Gerardmer en déplacement régate . Théo Halluite, jeune chef d’orchestre à la manœuvre du groupe Géromois (au centre debout derrière Viviane) dans la continuité de son ainé, Sebastien Meignan (assis à droite).

La recette de la réussite du petit plan d’eau de gaulois loin de la mer est secrète, seul le grand chef en a les ingrédients et les mesures.

Si on tente de deviner ? Premièrement, je crois que, naturellement, le choix de ce support planche longue chez nous, est lié, tu le mentionnes, à une histoire de champions de haut niveau, et de hautes performances. On connaît Julien BONTEMPS, qui a fait ses armes ici, attaché au bout d’une ficelle les jours de grand vent, Sébastien MEIGNAN. Mais il y en a eu pleine d’autres, je pense à la famille VANGILVE (Epinal) notamment Perrine, à la famille DEFAY (Gerardmer) avec Marion, etc. Ceux qui ont pu embrancher sur les filières sport étude et pôles ont eu de belles carrières. Ça nous donne des ailes à tous, tous âges confondus. Maintenant que leurs enfants sont un peu plus grands, on aimerait bien les voir revenir, d’ailleurs… Et dans cet ordre d’idée, le fait qu’il y ait des plus vieux avec des jeunes sur les lignes de départ est fédérateur. Les jeunes essaient de passer les « vieux », quand ils sont devant, et ils ne vont pas tarder à y arriver, même si on essaie de résister.

Second élément d’explication, les jeunes, lorsqu’il s’agit de choisir un support, peuvent faire des choix moins contraints que si nous avions un club bien calé sur le fonctionnement des « clubs d’élite », des sélections à la dure, et la visée de très hautes performances, étayées par des entraîneurs professionnels. Il faut du haut niveau en France, et il y en a, avec des filières jeunes, espoirs, haut niveau, qui fonctionnent très bien. Avec la professionnalisation des pratiques, le différentiel entre clubs de plan d’eau intérieur de petite taille et clubs de mer, est devenu encore plus grand. Il est difficile, pour nos jeunes, de faire des résultats de façon régulière et assurée au niveau national. La section lycée planche à voile de Gérardmer est porteuse aussi, de cette dynamique. Chez nous, après la Bic 293 et RS:One, les jeunes préfèrent progresser en raceboard, et pouvoir faire des résultats, en lieu et place d’avoir peu de reconnaissance (par exemple en RS:X), surtout quand ils n’ont pas le gabarit. Ils sont assez lucides, et préfèrent miser sur la longévité que permet la raceboard, en lieu et place d’une courte vie douloureuse de coureur.

Troisième élément d’explication, il y a Michel Mérieux, c’est évident. C’est un peu le patriarche de tous, et un livre d’histoire ouvert, qui fait beaucoup pour le lien intergénérationnel. En championnat et en compétition, il est toujours là pour nous soutenir, et tout réparer. Notamment les voiles : quand on met un vosgien en mer avec une vieille voile dans du shore break au Tour’duf, entre autres, il y a souvent de la casse, on a des spécialistes. Par son engagement, Michel rayonne sur les jeunes, qui ne sont pas que « consuméristes » dans le club, et cherchent à se rendre utile. L’organisation de notre structure ne le permettrait pas. Pour illustrer, des très jeunes, après quelques mois et un peu de maîtrise, ont à cœur de proposer d’initier des débutants. De jeunes coureurs, entraînent l’équipe compétition du club, et font l’effort d’emmener les jeunes en déplacement (Théo Halluite, Gautier Valentin, etc). C’est un club participatif.

Dernier point d’explication, le défi ; et je vais redire ce que j’ai mis en avant sur la page facebook France raceboard, sur nous les « bûcherons navigateurs de l’Est des Vosges » : pourquoi faire de la planche à Gérardmer? Parce que ça semble impossible d’en faire en plan d’eau intérieur.
Pourquoi faire autant de kilomètres? Parce que ça semble impossible, ou insensé.
Pourquoi chercher à faire des performances? Parce que ça semble impossible.
Bref, un fief d’illuminés du littoral intérieur, qui se nourrissent d’impossibles pour les transformer en défis, et qui, le plus souvent, voient la mer au journal télé ou en dessin sur les bourriches d’Huîtres du SUPER U.

 

Voilà pour la longévité raceboard du club ASG voile. Pour celle de Michel Mérieux ? Je crois qu’elle est liée à son alimentation exemplaire, à son caractère résistant, qu’il est dopé à la planche et à ses jumelles du bord de plage, et à ses boites de sardines offertes par les jeunes du club sur chaque déplacement.

La pratique sportive féminine est souvent plus compliquée que les autres. Le contingent national féminin reste de fait faible en Raceboard et dans les autres pratiques windsurfs. Que faudrait-il proposer et à quel(s) niveau(x) pour la développer davantage?

Oui, les filles n’ont jamais représenté de gros effectifs en raceboard. Pour les filières jeune et Haut niveau, il y a moins de difficulté, les filières recrutent et font le plein, mais pour la filière raceboard et loisirs, c’est plus compliqué. Il faut s’attaquer aux racines problématiques, si on veut réellement endiguer cette difficulté, mais ce serait long à développer ici… Je m’arrêterai sur des axes rapides, que tout le monde a déjà à l’esprit, et qu’on commence à aborder au niveau des réunions diverses.

1) Une idée plus personnelle, je crois qu’il y a un travail à faire de remobilisation des anciennes troupes. Nous avons sans doute d’anciennes compétitrices qui ne savent pas qu’il existe encore de la raceboard et qui auraient peut-être envie de s’y remettre, et cela, avec leurs enfants, et en famille. Un lien de sollicitation directe avec les personnes concernées, même s’il prend du temps, peut peut-être avoir une efficace. On n’oublie jamais sa planche, en témoigne tous les retours chez les garçons, et pour les quelques filles… Je suis une des seules en « master » (catégorie d’âge) dans les raceboardeuses françaises, ce qui pose question.

Aussi, en  associant cette démarche à une favorisation du glissement des jeunes en raceboard « (jeunes n’ayant pas le profil haut niveau ou que les filières élites n’intéresseraient pas), je ne doute pas qu’on relance une dynamique ».

2) Je me souviens que lorsque les championnats raceboard avaient lieu en même temps que ceux pour les jeunes, sur des périodes plus estivales, ce sont des familles entières qui se déplaçaient, et chacun courrait. Beaucoup d’adultes qui se mettent à la planche expliquent que c’est pour en faire avec leurs enfants, et que rester au bord, au bout d’un moment… Ils expliquent aussi que c’est un moteur pour eux, d’engager un déplacement long, s’ils sont plusieurs à participer, même si le cumul des coûts d’inscription est parfois un frein.

3) Malgré les faibles effectifs, il faut valoriser les femmes. Nous courrons souvent avec les garçons. On entend souvent parler du poids qui favorise les filles, malgré 1m carré de toile en moins, … Soyons honnêtes : qui aurait l’idée de proposer qu’en course à pied, les hommes courent avec les femmes en espérant qu’elles puissent raisonnablement et couramment lutter à armes égales ? Il y a certes une technicité, en planche,  qui permet de faire une différence entre ces deux sports, mais lorsque le niveau monte, la différence de puissance musculaire, … n’est pas non-négligeable, et pas aisément compensable. Les filles se battent durement, mais sauf cas particuliers, nous avons peu de succès dans les podiums mixtes. Nous apprécions toutes de courir avec les garçons, mais je crois qu’il faut faire l’effort, même s’il n’y a pas le nombre suffisant pour avoir un classement spécifique « raceboard femmes », de systématiquement faire au moins un podium féminin sur toutes les compétitions, même s’il n’y a qu’une ou deux femmes, ce n’est pas le problème. Parfois on transige, quand le nombre est trop faible on ne valorise, mais … que la première, ce qui amène à un entre-deux encore plus difficile que de n’en valoriser aucune. On a la possibilité de faire la différence entre classement et valorisation, et il faut l’utiliser. Je vois que ça revient progressivement sur les épreuves de championnat, et « festives ». Qu’il n’y ait ou pas de prix n’est pas la question, c’est juste faire apparaître qu’il y a des femmes, qui sont des mères, et qui, le plus souvent, après avoir motivé leurs troupes de planchistes, les avoirs nourries, avoir fait les tâches ménagères, avoir fait les manches de planche de la journée, vont… consoler ou féliciter leurs troupes, les nourrir, … J’exagère un peu, j’ai vu des hommes charmants qui faisaient tout, aussi, pour que mère ou compagne puisse courir aussi.

 2018, bis repetita ? Tu repars pour un tour …. d’Europe?

Bien sûr, c’est ce qui est envisagé, avec plein d’autres copains qui j’espère, vont venir aussi, jusqu’à Blanes, en Espagne.

Le « team » Français au championnat du monde Raceboard 2017 (Salou-Espagne)

Je remercie encore, sur ce point, mes directeurs de CIO, l’inspectrice de l’orientation, le directeur des services scolaires de l’académie, etc., pour m’avoir permis de m’absenter de mon poste et aller en compétition sur du temps scolaire. J’espère, d’ailleurs,   que nous aurons bientôt une idée des dates des compétitions importantes pour l’année prochaine. J’ai déjà coché notre stage annuel « d’entraînement-compétition-festivité » en Bretagne, le « tourduf » (merci à Christophe Boutet de maintenir ce rendez-vous canonique de la raceboard, entre autres).

Souhaites-tu t’exprimer sur un autre point?

C’est plus un appel : si des ligues de mer ou des ligues de plan d’eau intérieur (nous nous étions associés à la Bourgogne l’année dernière, avec Gautier Valentin) ouvrent leur stage annuel à des « extérieurs » (participation aux frais, bien sûr), je suis intéressée (et peut-être d’autres gérômois) suivant le calendrier. Peut-être que France raceboard association permettra aussi cette mise en place un jour ? Mais ça, ce n’est plus une question pour moi  🙂  .

Merci à toi Viviane et bon vent 2018,

C’était un plaisir.

Crédit photo: Poloalbum