Entretien avec Patrice Belbeoch, pour le grand retour de la raceboard ?

Dans cette interview, Patrice Belbeoch, figure des années d’or de la raceboard appelée au départ Course Racing, partage ses réflexions sur l’évolution de cette discipline. Il évoque un potentiel retour en force, les transformations nécessaires pour attirer de nouveaux adeptes, et livre une anecdote qui illustre la force et la polyvalence de la raceboard.

Découvrez comment ce sport pourrait renaître et séduire une nouvelle génération de passionnés.

Pour commencer, pourriez-vous vous présenter ? Qui êtes-vous et que faites-vous actuellement ?

Je m’appelle Patrice Belbeoch. J’étais coureur professionnel en PBA et PWA il y a 20-30 ans. Au début, la raceboard faisait partie de nos programmes en PBA. J’ai énormément navigué sur ce support. J’étais dans le top cinq mondial en raceboard. J’ai toujours été fan, surtout pour son aspect tactique, même si je pratiquais aussi d’autres disciplines comme la vague et le slalom.

 

Vous avez commencé par la raceboard tout de suite ou vous avez eu d’autres pratiques avant ?

Mon parcours est assez atypique. J’ai commencé par la raceboard en entrant en Coupe du monde, bien qu’ayant un profil plutôt slalom et vague. À l’époque, il y avait un classement général entre toutes les disciplines et c’était ce qui comptait le plus, donc j’ai fait de la raceboard dès le début en Coupe du monde, sans jamais être monté sur une planche de ce type avant.

 

Pouvez-vous nous parler de vos palmarès ? De quoi êtes-vous particulièrement fier dans la raceboard ?

C’est difficile à dire précisément, je n’ai jamais vraiment compté. J’ai été plusieurs fois champion de France, peut-être cinq ou six fois. J’ai gagné une Coupe du monde en raceboard et j’ai été dans le top 5 mondial. J’ai aussi été champion du monde en vagues et champion d’Europe, mais pas en raceboard. Mon parcours est assez multidisciplinaire, mais en raceboard, j’étais au top dans les années 80-90, donc ça fait un moment.

 

Avez-vous participé au Défi Wind avec une raceboard ?

Non, je n’ai pas navigué au Défi Wind avec une raceboard. J’ai utilisé des planches très longues, similaires à des raceboards, mais pas exactement. J’ai gagné le Défi en 2013, mais j’ai fait quelques manches avec des longboards, terminant dans le top 10-20, ce qui est déjà pas mal !

 

Utiliser une planche longue, qu’est-ce que cela apporte dans ces compétitions ?

Sur le Défi Wind, cela n’apporte aucun intérêt particulier. C’est surtout pour la promotion et montrer que les planches longues ne sont pas obsolètes en termes de vitesse. C’est très amusant de passer devant plein de monde en ligne droite avec une planche longue. Mais en général, avec des vents de 30-40 nœuds, ce n’est pas là que la raceboard excelle.

 

Pourquoi cela vous tient-il à cœur de promouvoir les planches plus longues ?

Si on regarde l’histoire du windsurf, il y a deux supports qui ont énormément de succès aujourd’hui : le foil, en tant que série Olympique, et le windsurfer, qui attire beaucoup de pratiquants avec des championnats du monde très populaires. Je pense que l’attractivité de ces supports en compétition vient du fait qu’il y ait des classes par poids. La raceboard, elle, n’a jamais vraiment eu de classes de poids, ce qui est une erreur à mon avis et en fait un support moins attrayant. Pourtant, en termes de sensations et de performances, la raceboard est supérieure. On va très vite sur les bords de près et elle est peut être rapide sur les bords de largue. Maintenant, ils font beaucoup de vent arrière avec peu de largue, ce qui n’était pas le cas à l’époque où je courrais.

 

Pratiquez-vous toujours aujourd’hui ?

Oui, je pratique toujours et je suis consultant. Je donne un coup de main sur différents concepts, que ce soit dans la planche ou ailleurs. J’ai une grande expérience avec les planches à dérive, comme la raceboard, depuis presque 30-40 ans.
J’avais une société, Flying Fish, mais je l’ai arrêtée l’année dernière.

 

Continuez-vous à travailler dans le développement des disciplines autour des planches ?

Je continue à donner un coup de main et à promouvoir les planches à dérive. Je pense que c’est ce qui manque aujourd’hui. Même pour faire du foil, il faut d’abord pratiquer la planche à dérive. Les clubs devraient réintégrer des planches à dérive pour pouvoir naviguer dans tous les types de temps.

 

Est-il possible de revenir à une fabrication française de planches, avec des matériaux français, sur le territoire français ?

Tout est possible, mais il y a une réalité économique. Il y a un manque de pratiquants en raceboard, et fabriquer en France coûterait beaucoup plus cher. Actuellement, la fabrication en Thaïlande est plus abordable malgré la perte en termes de temps que l’import coûte.

 

Comment se déroule le processus de création d’une planche à dérive ?

On part à la base d’une planche déjà performante et on la modifie en suivant l’évolution de la discipline. Aujourd’hui, les planches sont plus larges et les voiles plus grandes pour répondre aux exigences des parcours actuels. En raceboard, les coureurs ont pratiquement arrêté de faire des bords de largue pour exploiter plutôt le vent arrière, ce qui a entraîné une modification des planches.  C’est donc fortement lié aux types de parcours proposés.

 

Quelles sont les contraintes matérielles pour la création de ces planches ?

Il faut trouver un compromis entre légèreté et coût. Les matériaux exotiques sont chers, et il faut rendre la production économiquement viable. En termes de poids, les voiles et les planches sont beaucoup plus volumineuse, à titre comparatif à l’époque on était limités à 7,5m² et aujourd’hui à 9,5m² en surface de voile… comme la voile est plus grande, il faut une grosse planche, donc une planche avec plus de rail. Les dérives sont aussi plus longues que ce que l’on avait avant. Ces planches-là sont beaucoup plus performantes.

 

Pourquoi avez-vous lancé votre société dans une période où il n’y avait plus de fabricants de raceboard ?
C’était une suite logique de mon parcours. J’étais déjà développeur quand j’étais coureur. J’ai donc continué à créer mes propres planches et j’ai lancer ma marque. Nous avons été les premiers à refaire des planches de raceboard puis starboard a suivi un an plus tard.

 

Pensez-vous qu’une planche à dérive pourrait revenir en tant que support olympique ?

La raceboard a déjà été un support olympique, mais elle a été remplacée par des supports plus spectaculaires comme le foil. Je ne suis pas capable de dire si la raceboard reviendra aux JO. Cependant, il serait envisageable d’ajouter un deuxième support de planche à voile, qui pourrait être une raceboard. La tendance va plutôt vers la restriction des titres olympiques donc je ne sais pas si cela pourrait se produire.

 

Pourquoi y a-t-il moins de pratiquants en raceboard aujourd’hui ?

A l’époque, la raceboard était pratiquée par tous les champions. On avait des Robby Naish et compagnie qui naviguaient sur des raceboards, forcément les gens étaient contents d’acheter la planche que leurs champions utilisaient. On pouvait valider quasiment toutes les compétitions avec ce support. A partir du moment où on a eu de moins en moins de compétitions validées, le circuit a commencé à péricliter. Pour moi, arrêter la raceboard dans les clubs a été extrêmement négatif pour le sport. Ne pas faire la promotion d’un support qui se déplace bien dans du vent faible est une erreur.

 

Pensez-vous que cela pourrait revenir ?

Oui, avec un programme moins cher et accessible. Ça devrait arriver d’ici peu de temps, on va se retrouver avec une offre sur le marché intéressante ! Un programme comme ça peut avoir un gros succès en raceboard.

En revanche, il y a un besoin de mettre en place des classes de poids pour rendre les compétitions plus équitables. Il y a des jeunes qui sont largement capables d’être champions du monde et qui n’ont pas encore 21 ans. Si on compare, un jeune d’1m90 et un autre d’1m70, on va avoir des variances de poids énormes et en compétition on sait qui va gagner en fonction des conditions météo. Les lourds seront derrière dans les petits temps et inversement, les légers seront derrière dans les vents forts… Alors continuer de faire des classes d’âge n’est pas pertinent à mon sens. A talent identique, si quelqu’un fait 20kg de moins il ira tout simplement moins vite. C’est comme si on mettait un moteur de Twingo dans une Ferrari, elle n’ira pas vite.

 

Qu’avez-vous retenu de votre parcours en tant qu’athlète professionnel ?

J’ai vécu les années d’or de la planche à voile. Aujourd’hui, même si la planche à voile revient, il y a moins de pratiquants. Le foil a pris une grande place, mais la planche à voile reste accessible et amusante. D’ailleurs, le foil commence à devenir trop extrême avec les vitesses qu’il permet d’atteindre, on parle quand même de 35 à 37 nœuds pour les meilleurs ! Je pense que cette vitesse peu freiner les gens à monter ou à continuer sur ce support.

A côté, la planche à voile comme la raceboard on peut arrêter quelques années puis reprendre sans problème et retrouve rapidement ses sensations.

 

Avez-vous rencontré des difficultés à concilier sport et vie personnelle ?

À mon époque, c’était moins compliqué car il y avait plus de budget pour les athlètes. Par exemple, je pouvais facilement me déplacer avec ma famille à l’autre bout du monde. Aujourd’hui, avec les budgets limités, je ne me verrais pas concilier ma vie d’athlète professionnelle et ma vie familiale.

 

Est-ce que vous avez transmis votre passion pour la planche à vos enfants ?

Mon fils pratique la planche depuis qu’il a 5 ans et a un bon niveau, bien qu’il ne soit pas intéressé par la compétition à part le Défi Wind qu’il adore. Il a choisi un autre parcours que le mien en n’en faisant pas sa profession et il fait des choses très bien à la place ! Mes filles ne pratiquent pas, mais elles font du sport et elles ont de beaux parcours aussi.

 

Envisagez-vous de revenir aux championnats de raceboard ?

Oui, à condition que des classes de poids sont mises en place. Sans cela, ça ne serait pas agréable pour moi de concourir avec mon gabarit, je n’ai pas envie de ramasser les bouées.

 

La création de classes de poids n’est-elle pas limitée par le faible nombre de pratiquants ?

Ou il faut remettre les choses à l’envers, c’est peut-être parce qu’il n’y a pas de catégories de poids qu’il n’y a pas de pratiquants… Si nous créons des classes de poids, il y aura plus de pratiquants, car les compétitions seront plus équitables et attractives.

 

Un conseil pour un débutant ?

Commencez par un support à dérive ! Pratiquez en club et régulièrement ! La raceboard est un support génial.

 

Dernière question, avez-vous une petite anecdote, un souvenir marquant à raconter ?

On dit souvent que la raceboard est un support obsolète, réservé aux « vieux » et au petit temps. Pour le coup, j’ai une anecdote qui prouve le contraire. C’était pendant une Coupe du monde au Japon, dans les grandes années de la raceboard. Nous avons eu des conditions extrêmes avec un vent de 45 nœuds offshore, des vagues de shore break de 2,5 mètres, et au large, des creux de 5 à 6 mètres. On voyait à peine les bouées. Chaque parcours durait environ 1h30 et nous enchaînions trois manches sans retourner à terre.

Le côté radical de la raceboard, je l’ai vraiment vécu. C’était un peu no limit. On se demandait ce qu’on faisait là sur l’eau. Ces planches peuvent aller très fort. En fait, c’est le support le plus polyvalent, capable de naviguer dans des vents extrêmement légers comme dans des vents très forts. Contrairement au foil, la raceboard offre une plage d’utilisation sans égal. En IQFoil, ils adaptent déjà les parcours pour le vent fort. Et puis tous les hommes pèsent entre 100 et 110 kilos maintenant, et les femmes ont pris 10-15 kilos par rapport à l’époque de la raceboard aux JO. C’est vraiment différent.

La raceboard, c’est un sport où l’on peut aller très loin dans toutes les conditions de vent, et cela mérite d’être reconnu.