Interview de Pierre Gaubert (CMV Saint-Brieuc) l’âme vivante de son club, de longue date, sur une façade maritime, en Bretagne. Jeunes et moins jeunes, il les entraîne tous sur l’eau avec un seul maître mot: le plaisir de naviguer et s’exprimer sur l’eau, chacun à son niveau, chacun selon ses propres limites, de naviguer en groupe ou à la recherche d’une médaille olympique.
Pierre, c’est avant tout du pragmatisme, du concret, des convictions, un franc-parler, aussi, et une passion éternelle du windsurf sous toutes ses formes. C’est aussi notre correspondant F.R.A. sur Bretagne nord avec qui nous partageons toujours de riches discussions.
Comment ton club fonctionne t-il actuellement?
Pierre Gaubert: Le centre de voile de Saint Brieuc fonctionne sur la base de deux permanents avec deux saisonniers longs dès avril et des moniteurs en saison estivale (6/7). Nous voguons vers les 1200 membres pour moins de 100 licenciés sport et 600 licenciés loisir. Nous accueillons essentiellement un public local. Quand il n’est pas ancré dans la baie, il y a ses racines. Nous pratiquons tous les supports, mais nous nous sommes spécialisés en planche car c’est notre culture historique (1979). On reçoit aussi tous les sportifs qui ont un projet de haut niveau quel que soit le support car nous connaissons le cheminement, la scène comme une pièce (et bla bla bla c’est le meilleur qui gagne) et les coulisses toujours un peu piégeuses.
Qu’est-ce qui impose telle ou telle pratique au CMVSB? Des différences de choix entre jeunes et adultes?
Pierre Gaubert: Le coût et le sérieux du suivi, qui va avec sont des facteurs importants. Je fais partie de ceux qui pensent que l’on ne doit pas se disperser dans trop de filières. Notre voisin le CNP s’est spécialisé en dériveur et nous en windsurf. Nous prêtons le matériel de régate aux minimes afin de les lancer et ensuite les sportifs investissent. Selon leur engagement et leurs performances, ils reçoivent une aide.
On arrive à la pratique adulte. Sortie de la filière jeune, que font les jeunes adultes: ils font du fun, du foil et du kite de la raceboard.
Quelle est ta façon d’accompagner un jeune dans la durée? Que cherches-tu à lui faire atteindre? L’écoute et la patience semble être tes maîtres mots. Comme si tu laissais les jeunes se découvrir et découvrir la pratique qui lui convient. Tu confirmes?
Pierre Gaubert: On commence par caler les choses en disant quelques vérités. Exemple: « ça ne va pas être une partie de plaisir au début, au fil du temps ça ira mieux et on finira par pratiquer comme si c’était un « sport martial ». On encourage et on bouscule (engueulades quand il faut). On aide le jeune à savoir qui il est, reste à sa charge de changer ou pas. On aide le jeune à choisir, et on encourage; un tel veut aller vers le haut niveau (go! ou attention danger), un autre veut faire du fun (pourquoi pas) un autre veut faire du kite (super Antoine Auriol), etc etc. On sait ce que ça coute, et le temps à y consacrer: on en parle et ils choisissent. On aime tout et on déteste les discours de chapelle.
Et la pratique adulte? Dissociée de la pratique jeune ou tous ensemble?
Pierre Gaubert: Les adultes sont avec les jeunes mais il arrive de dissocier les entraînements surtout quand il s’agit de bosser des choses techniques qui saoulent parfois les seniors. En règle générale parcours et speed test sont faits ensemble, et c’est génial.
Comment as-tu vu évoluer le windsurf ces 30 dernières année?
Pierre Gaubert: En 2019 ça fera 30 ans que nous avons organisé le France planche à voile. 900 concurrents sur 15 jours, planches prêtées aux jeunes. La belle époque de l’open.
Puis est arrivée la raceboard une période géniale; tout le monde en faisait, sur les world cup, dans les clubs, les régions. Christian Chardon a bien bossé là-dessus à une époque: il faut le rappeler. Puis il y a eu la formula et bing, pif paf, tout a implosé, la mistral One Design est restée un peu comme un refuge. Certains ont cru que la formula était la solution olympique. En effet, mais avec une dérive pour le petit temps quand même et avec 9,50m², la fameuse RS:X. Les autres planches courtes à dérive ont toutes été des « boulets », une honte. Avec tout ça, la raceboard a souffert et la pratique s’est réduite à peau de chagrin. Et puis on a eu le kite, et puis le foil.
Bref, tout cela à grand renfort de marketing n’a pas réussi à tuer le concept raceboard, extraordinairement plus polyvalent. Je crois qu’il n’y pas longtemps Patricce Belbéoch’ et Robby se sont exprimés dans ce sens.
Comment vois-tu le windsurf dans un futur à moyen terme tant beaucoup de choses semblent se bousculer en ce moment. Que restera-t-il ? Qu’est ce qui pourrait disparaître ?
Pierre Gaubert: Regardons ce qui marche: le circuit Bic est bien installé. C’est un support fun et économique permettant de former les jeunes à la glisse, sans sacrifier la tactique et la stratégie. Tout le reste est à la peine. La RS:X jeune marche bien mais sans me tromper beaucoup, si on enlève le financement public des pôles, il ne reste pas grand-chose et en tout cas pas une pratique populaire. Ce n’est pas bon signe. La techno+ ne donne pas signe d’un bon début.
Le foil est arrivé et j’y ai cru. On y croyait, mais là, j’ai comme un doute. Pour faire du cap il faut du vent ou de la toile et on retombe dans la course à l’armement ou les contraintes du fun. Cependant il y eu une belle épreuve dans le sud en mai, qui pourrait laisser penser que l’on a un début de quelque chose. Du côté de la Bretagne, je trouve que ce n’est pas folichon, c’est pour cela que je doute. Comme en fun, le vent devient le sujet de conversation des parkings et moi j’aime bosser sur l’eau.
Pour les clubs, le foil c’est comme le fun: pas simple car il faut un vent minimum, du matos; autant de contraintes qui limitent le développement. La raceboard pour autant qu’elle soit un peu cadrée, est la solution car elle tue les deux contraintes précédentes: la météo (on prend tout ce qui se donne), le matos (une jauge avec deux voiles et roule). Tout le monde sur l’eau et personne sur le parking en race board. Un concept qui peut durer des années.
Vous êtes investi dans votre club dans la pratique raceboard et la transmettez à tous. Comment définissez-vous cette pratique? Un engin de course? Une grosse planche pour débuter? Has been?
Pierre Gaubert: L’activité s’appuie sur un flotteur long qui permet même de faire du paddle dans la pétole. La pratique permet les longs bords en toute convivialité quels que soient les âges. Rien de mieux qu’une raceboard pour les raids, on est sûr d’atteindre l’objectif sportif et la destination quel que soit le vent.
Un sujet sensible autour de la raceboard, est la continuité de pratique des jeunes vers l’âge adulte…. Quelle est selon vous la bonne recette pour mener à bien cet objectif?
Pierre Gaubert: En effet, quel que soient les qualités indéniables du flotteur, les jeunes sont formés sur des flotteurs qui planent confort dans 14 nœuds. La raceboard ne permet pas ces sensations au travers et c’est bien là le problème. Elle offre d’autres sensations qu’il faut vendre: le fait de « foiler » au près sur la dérive dans 10/12 nds. Il faut faire un peu de marketing sur le support. Enfin, il manque un peu de cadres, de règles, pour que les premiers représentent quelque chose. La jauge des voiles et des planches est un aspect important car je redoute qu’un jour prochain les jeunes s’équipent en 9,5 quel que soit leur poids et détrônent les seniors « vieillissants », avec le risque de décrochage de ces derniers (qui serait fatal à la pratique).
Au cours de toutes ces années d’investissements … quel est ou quels sont les souvenirs les plus forts?
Nous avons tellement de bons souvenirs avec nos planchistes. Je crois qu’une petite partie de la médaille de Pierre* revient à ces générations de pratiquants.
* Pierre Le Coq, médaille de bronze au J.O. de Rio 2016.
Parmi les souvenirs :
Pierre Gaubert:
Le France raceboard à Crozon 92 et la manche de vent : je finis 5 en 6,2 m sans les lèvres (arrachée), derrière notamment,Cédric Diquéro et Fred Duthil qui a failli m’arracher la tête dans un jibe.
La sélection Isaf de Pierre (Le Coq) pour Weymouth à Lorient. Têtière cassée alors que Pierre domine, Faustine Meret abandonne sa course et remet son gréement à Pierre: émotion. Pierre 3ème à Weymouth.
La sélection ISAF d’Hadrien Mourichon à Quiberon remportée par Hadrien sans discussion possible. Message d’un élu de la FFV à Hadrien : c’est toi qui ira au Brésil. Deuxième message 30 mn plus tard après les grandes manœuvres en coulisse: Allo Adrien, ben euh c’est pour te dire que « finalement t’iras pas au Brésil ». 10 mn plus tard j’appelle l’élu en question qui me dit : « ben euh il n’était pas au Pôle, et il va faire médecine ». No comment.
La soirée de retour des JO de Pierre avec le dauphin bleu et les glissades au champagne: les rois de la glisse. C’est bête mais on a bien rigolé.